La batteuse d’Arance et Lendresse

article batteuse

L’organisation du travail les jours de battage, l’occasion d’une grande fête

 La coopérative de battage d’Arance et Lendresse, créée autour de 1935,  a permis à la communauté de producteurs de blé des deux villages l’achat d’une batteuse, primée à l’exposition universelle de Paris de 1900.

Chacun faisait sa récolte, puis la batteuse allait de ferme en ferme : pendant 8 jours à Lendresse puis à Arance et le contraire l’année suivante.

Elle était tractée le matin de bonne heure par les bœufs ou vaches des fermiers chez qui on allait. Ceux qui avaient de  petites récoltes la portaient chez leur voisin sur une charrette tirée par des vaches.

A Lendresse, on allait chez  Laubaret, Doumecq, Marque, Chardier, Camgrand, Lapeyrigne, Nicot, Goarré, Forsans, Arrieu, Naulé, Hau Palé, Laheuguère. A Arance, chez Toulouse,  Segrestaa, Gréchez, Dufau, Prim Coussoou, Laplace, Cambet, Bastourre, Bordenave,  Fituque, Lacroix et Camdessus.

La « batère »  se déroulait au mois de juillet, au plus tard début août.

La batteuse a fonctionné jusqu’en 1959 à Lendresse  et 1960 à Arance.

Emplacement de la batteuse

La batteuse a été logée jusqu’en 1958 chez Cazaurand à Arance, moyennant un loyer annuel de 10 000 francs.

Mme Oettinger, par la suite, a accepté de l’installer dans l’une de ses granges du château de Lendresse. Peut-être qu’un loyer lui a été allouée la première année, par la suite aucun. La batteuse n’a pas bougé depuis de cet emplacement.

juillet 2022 au château de Lendresse - article batteuse    juillet 2022 au château de Lendresse - article batteuse

Organisation de la coopérative de battage d’Arance et Lendresse

Le siège de la coopérative était à Arance. Henry Lasbistes en était le trésorier les dernières années.

Quasiment tous les agriculteurs d’Arance et Lendresse ont adhéré à la coopérative pour pouvoir l’utiliser. Les adhérents payaient leur part en fonction du nombre de sacs de blé de leur récolte.

A Lendresse, le décompte de la récolte 1957 a été conservé par la famille Doumecq : Camgrand  54 sacs,  Lalanne  37 sacs, Chardier 79 sacs, Marque 162 sacs, Doumecq 102 sacs, Lapeyrigne 44 sacs, Laubaret  33 sacs.

Tout le monde ne faisait pas du blé : les Lasbistes faisaient surtout des pêchers, des pommes de terre et un peu de maïs. Réputée, leur récolte de pêches était retenue d’avance par les commerçants.

L’entretien de la batteuse

Il y avait deux responsables salariés par la coopérative « los batusès » pour entretenir la batteuse, la placer, s’occuper de son  fonctionnement et diriger les gens.

Plusieurs personnes ont assuré cette responsabilité : Baptiste Montesquit et Henri Forcade pour la partie électrique, puis Joseph Doumecq et Louis Houyou, tous originaires d’Arance, également un autre homme originaire d’Argagnon, M. Tarissou..

Responsables du bon fonctionnement de la batteuse, ces hommes assuraient ses déplacements et  son installation dans les différentes fermes. Ils restaient présents durant tout le battage veillant aux courroies, aux poulies, à l’approvisionnement du moteur…

A Arance, M. Laborde, électricien, venait spécialement d’Artix brancher les câbles de la batteuse au poteau électrique le plus proche.

Le fonctionnement de la batteuse prenait beaucoup d’électricité sur le réseau. Dans les maisons à Arance, les ampoules baissaient d’intensité (clignotements) au rythme du passage dans les crans de l’attache métallique de la grande courroie, peut-être deux fois par seconde.

La batteuse nécessitait la présence d’une quinzaine de personnes pour la faire fonctionner. Il y avait au moins 10 postes de travail. On faisait appel à la parenté, aux voisins et amis…

       article batteuse

 Organisation des travaux de moisson du blé

 Chacun engrangeait sa récolte de blé dans sa grange sous forme de gerbes coupées et assemblées dans les champs.

Chaque agriculteur faisait de l’avoine, du seigle pour certains, pour lier les gerbes avec 2 ou 3 brins de leur paille. Les gerbes faisaient dans les 30 kilos. Les gerbes mécaniques ont fait ensuite moitié moins de poids. On les enfourchait pour les mettre dans les charrettes et les déchargeait dans les granges ou les greniers. Les dernières années, on les entreposait dehors ou les laissait dans les champs, avec des bâches imperméables pour les protéger.

article batteuse  article batteuse

Lors de la batère, la batteuse était au petit matin déplacée dans une ferme et placée juste sous l’ouverture de sa grange.

article batteuse    article batteuse

La mise en place était essentielle. Il y avait des réglages d’équilibre et d’alignement à faire pour  éviter que la longue courroie, reliée au moteur, ne saute. Cela pouvait être très dangereux et faire des dégâts. Pour cela, seuls les « batusès », spécialistes en ce domaine intervenaient.

Les plus proches voisins ayant de petites récoltes la portaient sur leur charrette tirée par des vaches et plus tard, par les tracteurs.

 

 

 

 

C’était très physique avec le poids des gerbes et des sacs, la poussière et la chaleur de l’été.

article batteuse

On enfourchait les gerbes en haut de la grange pour les donner aux hommes placés en haut de la batteuse. Ceux-ci défaisaient les liens et les glissaient dans la machine.

article batteuse    article batteuse    article batteuse

En deçà, les hommes récupéraient les grains de blé dans des sacs de jute. D’autres  pesaient les sacs avec la bascule. Chaque sac devait faire 81 kgs : 80 kgs pour le grain et 1 kilo pour le sac.

Avec la paille restante, on faisait un « burgué » en patois, une meule autour d’un grand pieu où on enroulait la paille en colimaçon en finissant par une pointe qui permettait à l’eau de ruisseler. On s’en servait pour les litières des cochons, des vaches. A Lendresse, il y avait deux spécialistes pour les monter. C’était toujours les mêmes qui se chargeaient de les faire.

Après il fallait porter à dos d’homme les sacs de 80 kilos en haut des greniers.

Le lendemain matin, on déplaçait la machine au moins durant 2 heures jusqu’au prochain voisin.

C’était des journées de 6 heures le matin à minuit pour certains. D’autres devant s’occuper de nourrir, soigner leurs bêtes et de la traite arrivaient plus tard et repartaient plus tôt le soir, avant de revenir pour le souper commun.

Destination des sacs de blé

 Une partie restait pour les besoins de la ferme (réensemencer, nourrir les canards, poules, cochons…) une partie allait chez le boulanger.

Pour le pain de l’année, on amenait  les sacs de blé directement chez Castandet, le meunier à Lacq. Celui-ci enregistrait le nombre de sacs de chacun à destination des boulangers : M. Gouardères à Arance et M. Caup à Artix. Tous deux venaient à Lendresse avec une voiturette de 2 places tirée par un petit âne ou un cheval, et à l’arrière, une caisse contenant le pain de la distribution. On négociait auprès du boulanger le nombre de « coques » par sac, des miches de pain d’un ou deux kilos en fonction des besoins de la famille. Les « coques » gardaient leur fraicheur toute la semaine. C’était un pain fait avec du levain.

Le reste (parfois pas grand-chose, l’essentiel était consacré au  pain de la famille et pour nourrir  les bêtes) était commercialisé surtout auprès de marchands de grains à Arthez, Maslacq ou Artix.

Une grande fête la »batère » !!…

C’était une fête, très convivial. Cela durait 8 à 10 jours avec de grands repas dans chacune des fermes.

A Lendresse, tous les hommes et quelques femmes travaillaient, s’entraidaient. Abel Lapeyrigne et Pierre Doumecq âgés de 15 ans allaient partout, René Marque également.

On s’amusait même si le travail était pénible.

Les maîtresses de maison organisaient les repas. Les voisines se regroupaient pour faire la cuisine. C’était la razzia dans les basses cours… Il y avait beaucoup de travail pour nourrir tous ces travailleurs.

Pour le repas du matin, à 10 heures à la fourchette, étaient servies des sauces de veau, de bœuf, puis à 13 heures rebelote avec souvent des poulets rôtis , des poules au pot, des rôtis de porcs, et le soir de nouveau un repas du style du matin avec toujours à midi le potage de vermicelle et à chaque repas, à Lendresse, le bon vin de Lestelle sans oublier le soir, après le café, les bons coups de gnole, d’eau de vie…

Il y avait une vraie convivialité, une vie très physique, beaucoup de solidarité. On se mettait à table dans les maisons avec souvent une vingtaine de personnes. A Arance, les femmes s’occupaient du service, seuls les hommes étaient attablés. A Lendresse, quelques femmes participaient aux travaux du battage et aux repas.

Il y avait alors très peu de différence de niveau de vie entre les métayers et les propriétaires.

On était tous égaux. Il fallait tout de même enlever le béret devant les notables : l’instituteur, le Maire et le curé. On ne parlait pas d’argent. On parlait de la récolte sans penser à comparer les uns les autres. On parlait de la vie de tous les jours, de la famille, des journaux, des bêtes, de la radio.

Il faisait très chaud.

A Lendresse quand tout était terminé, certains partaient le soir se baigner au gave. Au centre du village, c’était dangereux. Il y avait des tourbillons. On se tenait bien aux blocs, à la fontaine, pour ne pas être emporté. D’autres allaient  se baigner à l’Escoure, un petit bras du gave sécure bien qu’un peu vaseux. C’est lors d’une de ces soirées que Jean Rochefort a disparu. Il a été retrouvé le lendemain par ses compagnons dans ce bras, gisant à un mètre de profondeur… Nous pensons qu’il a été victime d’un choc thermique avec la  chaleur de la journée, des efforts physiques et le contact avec l’eau très fraiche du gave… Tout le village a été bouleversé.

Jean H. a participé à la dernière batère à Arance en 1960. Il avait 12 ans.

Il nous raconte :

 « Chez Albert Toulouse, il y avait toute une équipe : Albert Rey, Jean Segrestaa, les beaux frères d’Albert Toulouse, son frère Léon, Adrien Darricarrère… La famille Lay venait emmener son blé avec la charrette tirée par les vaches.

Tout le monde s’entraidait, se suivait, se donnait la main.

J’avais 12 ans et je participais aux travaux.

 J’aidais dans la grange. On attrapait les gerbes et les donnait à un autre en haut de la batteuse. C’est sur la batteuse qu’on coupait la ficelle. Je « dépiquetais » aussi. Quand les gerbes de blé étaient dépouillées, il restait la paille et le reste d’épi qui protégeait le grain que l’on l’appelait le « poup ». Ca piquait quand on le détachait de la tige. On faisait avec ces épis, vidés de leur grain, des matelas. Avec une pelle, on le mettait dans les vieux sacs de blé en jute qui restaient. Les uns pesaient le blé, les autres le chargeaient dans les charrettes.

On était une vingtaine au moins pour manger.

Il y avait une très bonne ambiance. On chantait, racontait des histoires, blaguait…

Il y en avait qui veillaient. D’autres partaient plus tôt pour  s’occuper des cochons, traire les vaches… et repartir le lendemain.

Nous, on y était à 9 heures. On mangeait à 1 heure. Entre temps, on buvait de l’eau coupée de vin à la gourde. Il y en a qui mettaient de l’eau de vie pour donner un coup de fouet et rigoler.

C’était la grosse fête. On faisait ça en s’amusant…».

 Avec nos remerciements à tous ceux qui ont participé à l’écriture de cet historique. Les photos sont dues à Jean Doumecq.