Gouze dans la grande guerre
Au cours de ce conflit, 9 hommes résidant sur la commune, sont morts : Quatre d’entre eux avaient tout juste 20 ans en 1914. Une famille perdra 3 enfants.
- GRECHEZ Edouard: inscrit sur le Monument aux Morts mais sur lequel nous n’avons aucun renseignement.
- LABORDE Jacques (1er Régiment de marche de Tirailleurs) né le 1er Mai 1894 à Argagnon. Mort à 21 ans le 19 Septembre 1915 à Boezinge (Belgique). Inhumé à la nécropole St Charles de Potyze à Ypres (Belgique).N°2805
- LABORDE Pierre dit Pierraulin (161ème RI) né le 2 Février 1892 à Argagnon. Mort à 25 ans à Cormicy (Marne) le 16 Avril 1917 au lieu-dit Sapigneul.
- LABORDE Simon-Albert (269 ème RI) né le 8 Avril 1879 à Sault de Navailles, marié à Anne Lartigau .Mort à 37 ans le 2 Avril 1916 à Verdun sur Meuse (Meuse).
- LARTIGAU Louis Vincent (418ème RI) né le 25 Août 1895 à Castétis. Mort à 21 ans le 16 Avril 1917 à Cerny en Laonnois (Aisne).
- LARREGNESTE Jean-Baptiste (49ème RI) né le 14 Janvier 1881 à Ossages, marié à Marie Lalanne – Mort à 33 ans le 18/09/1914 à Craonnelle (Aisne).
- MILHE Jean-Edmond (283ème RI), né le 19 Novembre 1887 à Orthez marié à Marie Louise Loustalot, 2 enfants. Mort à 31 ans le 30 Mars 1918 à Mortemer. Inhumé à la Nécropole Nationale de Vignemont (Oise).
- PARFAIT Paul Pierre Landry (10 ème Régiment des Hussards), né le 18 Février 1895 à Orthez. Mort à 23 ans, le 18 Août 1918 à Faverolles (Aisne). Inhumé à la nécropole de Villers Cotterêts (Aisne).
- PORTAIL Jean-Marie (34ème RI), né le 13 Juillet 1887 à Balansun. Mort à 28 ans le 14 Mai 1916 à Douaumont (Meuse).
Parmi la vingtaine d’hommes de la commune mobilisés, dont le Maire Pierre Bernet, son adjoint Jacques Henri Labarthe et 4 conseillers municipaux, seulement la moitié d’entre eux reviendra.
Nous avons pu retracer l’histoire de trois gouziens et de leur régiment , grâce et aux journaux de marche (JMO) et aux documents que leurs familles nous ont confiés.
Dès le premier hiver 1914, la pluie, la boue, la neige, le froid rendent les conditions très difficiles :
« Tout le monde est dans la tranchée durant la nuit, sans paille, sans feu et sans eau-de-vie » (JMO 283ème-Hiver 1914).
« Les hommes travaillent toute la nuit avec leurs outils portatifs sous les bombardements d’une intensité inouïe et le jour venu, ils ont chacun un trou d’artilleur pour se protéger. Il fait un froid glacial, la terre gelée augmente les difficultés de travail » .(jmo 283ème RI -Hiver 1916).
Dans les tranchées, l’ennemi reste invisible et néanmoins très présent parfois à moins de 80 mètres.
Entre les tirs d’artillerie, les bombardements, chacun reste toujours aux aguets, attentif au moindre bruit :
« La saison froide a commencé après une longue période de pluie et de boue qui rendait les déplacements très difficiles et fatigants. Les chants des allemands arrivaient quelques fois jusqu’à nous ». ( jmo 283ème22/11/1914 ).
« Dans la soirée, des bruits de travailleurs sont perçus très distinctement dans les lignes ennemies. Un tir d’artillerie est demandé. Les bruits cessent aussitôt ». (jmo 283ème RI 10/15).
« A 18 heures, des groupes ennemis font du bruit devant nos réseaux : FM,VB, Grenadiers entrent en action ; on entend des gémissements et le bruit cesse ». (jmo 2ème dragons 12/11/1917).
Dans les 2 camps, certains soldats tentent d’échapper à cet univers :
« Dans la nuit une fusillade non justifiée éclate : 2 hommes sont blessés à la main : ils sont traduits en Conseil de guerre pour mutilation volontaire » .(jmo 283ème RI- 03/10/14)
« 4 déserteurs polonais se sont présentés sur notre front de 1ère ligne… Leur désertion a été encouragée par des proclamations… lancées par nous dans les lignes allemandes » (jmo 283ème 29/02/1915)
La guerre et la mort sont toujours présentes, mais on assiste à des gestes de fraternité :
« Un grand nombre de cadavres allemands tués dans les attaques sur nos tranchées, sont restés sur le terrain : des travailleurs creusent des fosses et en enterrent 76, sans que les allemands n’inquiètent nos travailleurs ». (jmo 283ème 05/10/1914).
« Sur une lettre trouvée dans la poche de la capote d’un sergent, tué par une bombe, il laissait tout l’argent qu’il portait aux hommes de la section ; ces derniers ont décidé d’acheter une couronne qui sera déposée sur sa tombe ». (jmo 283ème 29/01/1915).
Heureusement, quelques moments de répit sont accordés :
« Le 2 mars 1915, est organisée une séance récréative pour tous les hommes. Franche et cordiale gaité. La Toulousaine, les Montagnards et autres chants du Midi sont entonnés avec plaisir. Un soldat déclame une pièce de vers spécialement composée pour le colonel ». (jmo 283ème RI):.
« Un ½ litre de vin par personne est distribué chaque jour jusqu’à ce que le vin offert par les populations au Ministère de la guerre soit épuisé ». (jmo 283ème 29/02/1915)
Les lettres échangées permettent de s’évader du quotidien et de garder le contact
avec la famille : (lettres retrouvées par des familles de Gouze)
« Je vous envoie cette photo mais je n’y suis pas trop bien tiré. Avec le bouc et le Képi trop grand pour ma tête, je suis bien mal foutu. La prochaine fois sera sans barbe »
« Me voici de nouveau sur le front et en pays qui a connu l’invasion et qui surtout a eu a en souffrir. Il est évident que ça ne vaut pas la calme plat de notre cher Béarn…j’attends déjà avec impatience mon prochain tour de permission » (Mai 1918)
« Je crois que le spleen a installé son quartier général quelque part tout près de moi…..à quelques centaines de mètres de mon cantonnement se trouve un bois où je vais de 7 à 10 heures du soir, m’étendre sur l’herbe et rêver. Je cherche aussi des mots, ce qui me rappelle mes 10 ans, l’heureux temps, quoi …». (Mai 1918)
« Mon bien cher frère, Nous t’avons un peu négligé ces jours-ci car nous sommes au maïs et nous n’avons pas fini, il y a beaucoup d’herbe. Nous sommes en bonne santé et je suppose que tu en es de même…à dimanche d’autres détails. Je t’embrasse de tout cœur ». (Gouze, Juin 1916)
avec les copains blessés :
« Mon cher copain, Je ne crois pas aller au pays avant la fin du mois d’Août. Nous venons de changer de docteur. Avec l’autre, je sortais tous les jours mais celui-ci m’a défendu de sortir, alors me voilà encore prisonnier. Je te dirai que je n’ai pas encore les blessures fermées. On me change les pansements tous les deux jours, je marche très difficilement. Reçois mon cher ami, une bonne poignée de main”. (Paris, Juin 1915)
« Me voilà maintenant à Rouen. J’avais passé une visite à Vernon et j’étais passé dans les inaptes. Ici j’ai passé une autre visite et je suis passé dans l’auxiliaire. Tu peux croire que suis content et je vais faire une demande pour me rapprocher de chez moi…….Je vois que vous vous êtes bien amusés pendant votre permission mais je crois maintenant que vous devez entendre du tapage car ça chauffe par là. Vivement que cette maudite guerre finisse, car tu seras plus heureux à côté d’une petite femme que d’être par là”. (Rouen Mars 1916)
Pendant ce temps la vie continue à Gouze et la solidarité s’organise.
Extraits des délibérations du Conseil Municipal :
9 Août 1914 : Suite à une circulaire du Préfet il est décidé de prendre sur le budget prévu pour la restauration de l’école, la somme de 200 Francs pour les familles ayant perdu, suite à la mobilisation, leur soutien indispensable.
13 Décembre 1914 : Sont exonérées de taxes, les 12 personnes mobilisées avant cette date.
20 Décembre 1914 : considérant que la mobilisation a enlevé une grande majorité des travailleurs de la région, le conseil Municipal décide de retarder la réalisation des travaux du gave.
10 Octobre 1917 : 4 familles dont le chef manque pour cause de mobilisation et qui n’ont que des femmes, sont dispensées par le conseil Municipal des prestations de l’année (à savoir charger et décharger le gravier).
Mai 1918 : une famille de rapatriés (probablement venue des zones de combat) est prise en charge par la commune.
Retraçons maintenant le parcours personnel de trois Gouziens :
– Jean-Edmond MILHE
Son arrivée sur le front se fera tardivement. Lorsque la guerre éclate,
il n’est pas mobilisé. 2 raisons à cela : il a été réformé en 1910 par la commission Spéciale de Pau pour « perforation très vaste du tympan ».
En outre, il est « soutien de famille », marié et père de 2 enfants.
Mais, la guerre se prolongeant, l’armée fait appel à tous les hommes en âge de combattre. En 1917, à 30 ans, il est affecté à « l’Intérieur », c’est-à-dire à l’arrière du front au « service auxiliaire » pour remplir des tâches d’ordre public : entretien des routes, aide-soignant, employé agricole….
Malheureusement, le 10 février 1918, les évènements prennent une mauvaise tournure. Il est appelé sur le front et doit rejoindre à Bouvancourt (Marne) le 283ème RI, un régiment durement éprouvé dès les premiers mois de la guerre, par la perte de plus de la moitié de ses soldats.
Le régiment prend la route fin mars en direction de l’Oise. Après 3 longues étapes à pied puis en camions, le régiment débarque le 29 Mars aux environs de Méry. Il est aussitôt mis en état d’alerte. Les bataillons organisent les tranchées avec leurs «outils portatifs». L’attaque est lancée côté français le 30 Mars et se prolongera le 31 Mars. Elle permettra de reconquérir du terrain.
Au cours de cette attaque, Jean Edmond MILHE sera « tué à l’ennemi » par un éclat d’obus. Douze autres hommes de troupe et un officier trouveront également la mort ce jour là. On dénombrera 218 blessés.
Jean Edmond Milhé sera cité à l’ordre de la brigade. Il sera décoré de la croix de guerre avec étoile de bronze.
« La somme de 150 Francs a été payée à titre de secours immédiat le 1er juin 1918 à la veuve du décédé .
– Jacques-Henri LABARTHE
Il est affecté lors de son service militaire en 1903 dans la cavalerie. En 1904, il est nommé «Trompette ».
Dès Juillet 1914, il rejoint le 2ème régiment des Dragons basé à Lyon. Autant d’hommes que de chevaux embarquent le 31 juillet en gare de la Part-Dieu, direction la Moselle, 1ère étape d’un long périple.
Tout au long de la guerre, les chevaux suivront les hommes sur les lieux d’opérations et à chaque étape, chaque cavalier devra veiller à la bonne santé de sa monture. Le cheval sera utilisé pour effectuer les patrouilles de reconnaissance et aussi pour se déplacer d’un cantonnement à l’autre (sauf pour les longs parcours qui se font en train). Le régiment fera jusqu’à 13 étapes sans repos pour rejoindre les combats.
Les soldats combattent le plus souvent à pied soit en appui de l’infanterie, soit dans les tranchées ; par exemple en Octobre-Novembre 1914 à Ypres en Belgique où de très violents combats aux côtés des anglais ont fait de nombreux morts et blessés, des disparus et des prisonniers.
« La situation devient sérieuse, les tranchées sont bouleversées et encombrées de morts et de blessés ». (JMO 2/11)
Quelques jours après, Henri Labarthe envoie à sa famille une carte laconique qui contraste avec les évènements vécus.
Les années 15-16 sont marquées par de nombreux déplacements sur différents fronts :
- en Alsace où le régiment reçoit la visite du Président de la République, Raymond Poincaré,
- dans la Somme pour « donner aux troupes d’infanterie le repos nécessaire pour se reconstituer »
- puis la Meuse, la Meurthe et Moselle, les Vosges avec mission de coopérer à la défense du front.
Le périple continue en 1917 dans le Doubs pour surveiller la frontière suisse (patrouilles à cheval), puis dans l’Aube où nombre de soldats du régiment, dans les tranchées de soutien de 1er ligne, subissent des intoxications par les gaz. En juillet après plusieurs jours de déplacement à cheval, ils arrivent dans la Marne où ils restent pendant 5 mois. Les combats sont intenses. Les allemands sont à 800 mètres et bombardent les tranchées sans relâche avec l’utilisation parfois d’obus à gaz.
En Mai 1918, Jacques Henri Labarthe quitte son régiment et part pour l’Armée d’Orient. Il participera aux combats de Macédoine contre l’Allemagne et la Bulgarie. L’armistice sera signée avec la Bulgarie en Septembre1918 mais pour les soldats de cette Armée d’Orient les combats vont se poursuivre jusqu’aux frontières de Roumanie pour résister aux troupes russes. Leur périple s’achèvera seulement en mars 1919 sur les quais d’Odessa.
Il a reçu pour son engagement aux côtés des troupes alliées de Serbie et de Roumanie, deux médailles commémoratives.
Il revient alors dans son village et reprend son métier d’agriculteur. Il sera démobilisé le 7 Mai 1919.
– Le Caporal Jean LAMASOU
Il est également mobilisé en 1914. Compte tenu de son âge, 37 ans, il est affecté au 143 ème R.I.T. basé à Pau. A priori ces régiments de la territoriale, appelés familièrement « Les Pépères » devaient assurer la logistique. Mais au fil des mois on les retrouve en 1ère ligne, en premier lieu pour assurer le ravitaillement, creuser et entretenir des tranchées, récupérer sur les champs de bataille les armes abandonnées, recueillir, identifier et ensevelir les cadavres, puis au plus fort de la guerre, pour combattre lors des grandes offensives allemandes.
Où l’expression « Parcours du Combattant » prend tout son sens !!
Parti de Pau, le régiment de Jean Lamasou se dirige en plusieurs étapes vers la région de Béthune (Pas de Calais) où il stationne d’octobre 1914 à Novembre 1915. Il est affecté à protection des ponts du canal. Il se retrouve ensuite dans les tranchées en 1ère ligne où sous de violents bombardements allemands, il effectue des travaux de défense et assure le ravitaillement et les communications.
Après une période dans la Marne et l’Oise, où il effectue des travaux dans les tranchées et dans les forts, il se dirige vers Verdun en mars 1916 pour ravitailler les troupes de 1ère ligne avec un détour par les Vosges puis la Marne et l’Aisne. Le retour en septembre 1916, dans le Nord, rappelle de mauvais souvenirs. Dès leur arrivée, les soldats du 143ème participent à la bataille de la Somme. Pendant plus d’un mois ils seront sur la brèche jour et nuit. Ils resteront dans la Somme jusqu’à la fin de l’année. Durant cette période, 116 citations individuelles sont décernées.
Début but janvier 1917, départ en auto en direction de la Franche-Comté pour travailler à l’élargissement des routes et l’exploitation des carrières avant de repartir toujours en auto vers la Marne, puis en Mai dans l’Aisne où l’offensive française sur « Le chemin des Dames » a commencé. Le régiment reste à l’arrière soit pour assurer le service général de police soit pour construire des voies, soit pour surveiller les ponts.
En Novembre 1917, nouvelle incursion rapide dans la Somme avant de repartir vers la Haute Saône, où le 143ème est employé à l’aménagement du terrain d’aviation, puis dans les Vosges et le Haut-Rhin où il retrouve les tranchées de 1ère ligne.
Le 23 Mai 1918 le régiment arrive en train dans l’Oise à 4 heures du matin et doit en urgence rejoindre le front. Au bout de quelques heures, il se retrouve seul à défendre le terrain pied à pied. L’installation d’une batterie de 75 le sauve in extremis. Cependant devant l’avancée allemande les troupes françaises doivent se replier.
Jusqu’à l’armistice ces soldats continueront de ravitailler les troupes de 1ère ligne et de contribuer à l’organisation des terrains conquis.
Durant cette guerre, les « Pépères » du 143ème RIT auront perdu 247 soldats et officiers. 56 soldats seront portés disparus. 1184 soldats seront blessés dont Jean Lamasou blessé en Avril 1915 aux tranchées de Calonne.
Jean Lamasou a reçu plusieurs distinctions :
- une citation à l’ordre de la Division en date du 6 Décembre 1917
Motif : « Excellent caporal, au front depuis le début et blessé. A commandé le tir sous un feu violent d’artillerie ennemie. »
- la Médaille Militaire remise en 1932,
- la Médaille interalliée dite « de la victoire » remise en 1922.
Lors de la démobilisation, il se verra proposer un poste au service de l’Etat.
Il choisira la Légion de la Garde Républicaine. Il sera nommé Garde à pied. Il y restera jusqu’en 1926 avant de revenir au pays.
Le village fête le retour des soldats de la commune
Un vin d’honneur est organisé le 14 juillet 1919. A cette occasion, un budget est alloué pour l’achat « de 3 kgs 500 de fromage, 50 litres de vin, du pain et un paquet de bougies . Du pain sera également distribué aux « indigents ». ( extrait d’une délibération du Conseil Municipal).
A travers ces récits, nous avons pu mesurer le « chamboulement » que ces hommes et leurs familles ont vécu : quitter une famille, quitter ses habitudes, partir loin, être envoyé d’un front à un autre, connaître l’atrocité des combats, autant de traumatismes physiques et psychiques que provoque tout conflit armé et qui marquent à jamais.